Au milieu des scandales, la Commission européenne confie à des intérêts privés étrangers la politique antitabac de l’UE

L’annonce n’a été relayée par aucun média mainstream. Seul l’European Tobacco Harm Reduction Advocates (ETHRA), regroupement européen des associations en faveur de la réduction des risques face au tabagisme, a relevé la nouvelle. Fin janvier, l’Agence exécutive de la santé (HaDEA), dépendant de la Commission européenne, a officialisé un contrat de 3 millions € sur quatre ans avec un consortium d’organisations pour des services dans le domaine de la lutte antitabac. Une annonce qui soulève plusieurs problèmes d’opacité, d’orientation partisane idéologique, de manque de probité, d’éventuels conflits d’intérêts et d’abandon de souveraineté des européens sur la politique concernant la principale cause évitable de maladies dans l’Union européenne (UE).

Des contractants que l’HaDEA ne déclare pas

Les trois organismes cités dans l’annonce du contrat par l’HaDEA sont Open Evidence SSL, domicilié à Barcelone en Espagne, l’European Network for Smoking Prevention (ENSP), domicilié à Bruxelles en Belgique, et le Panepistimio Kritis de l’Université de Crête en Grèce. En apparence, des entreprises européennes. Cependant, la communication d’Open Evidence sur son site révèle d’autres entreprises impliquées dans le contrat qu’elle a remporté. Des entreprises que le document publié par l’HaDEA n’évoque pas.

« Open Evidence dirigera un consortium international qui comprend l’ENSP, l’Université de Crète, ICF, Milieu Consulting, Vital Strategies et SGS », explique le communiqué d’Open Evidence sur son site le 1er février – page sur Archive Internet en cas de disparition ou modification de la page originale

Ingérence de la finance américaine ?

Parmi les organisations que l’HaDEA n’a pas citées dans son annonce officielle, Vital Strategies est une organisation américaine sous le contrôle du financier multimilliardaire Michael Bloomberg. Elle est célèbre pour s’opposer dogmatiquement à toute approche de réduction des risques dans le domaine du tabagisme et nier l’existence de l’arrêt tabagique à l’aide du vapotage. 

De son côté, l’European Network for Smoking Prevention (ENSP) compte parmi ses membres la Campaign for Tobacco Free Kids (CTFK), une organisation américaine. Une présence qui bouscule les idées préconçues sur la géographie européenne. Matt Myers, le leader de CTFK, s’est fait connaitre pour avoir négocié secrètement avec le cigarettier Philip Morris en 1997 et 2004, selon Source Watch. CTFK reçoit aussi des financements du milliardaire Bloomberg. 

Dignes de confiance ?

Par ailleurs, l’ENSP aurait falsifié en 2003 les résultats d’un rapport sur le snus, confié à un cabinet indépendant néerlandais, avant de le présenter aux instances de l’UE, selon les révélations du quotidien suédois AftonBladet en 2012

« Dans leur rapport « Levez l’interdiction du snus », les Néerlandais sont arrivés à la conclusion que l’interdiction du snus devrait être levée dans toute l’UE. Mais lorsque l’ENSP a reçu le document dont le contenu allait à l’encontre de leurs propres convictions, ils ont réécrit le rapport. Au lieu de cela, une conclusion complètement différente a été présentée. A savoir que le snus est dangereux et provoque le cancer de la cavité buccale », explique le journal suédois AftonBladet.

La politique antitabac européenne privatisée ?

Le cahier des charges de l’HaDEA pour ce contrat livre, à sa page 5, le dogme de la Commission contre la réduction des risques : « Le défi de l’élimination du tabagisme s’est accru en raison de la grande variété de produits du tabac émergents et de produits connexes (par exemple, les produits du tabac chauffés, les e-cigarettes sans nicotine et les sachets de nicotine) qui entrent sur le marché européen ». La Commission considère toujours la réduction des risques uniquement comme un danger. En contradiction avec le texte du Plan Cancer (BECA), qui souligne le rôle du vapotage dans l’arrêt tabagique pour certains fumeurs en Europe, dont la Commission se prévaut pourtant pour déclencher ce financement.

Plus loin, à la page 10 de ce cahier des charges, l’agence de la Commission annonce que la modélisation ainsi que l’évaluation des résultats sanitaires de la politique sur le tabagisme seront confiées aux contractants. La Commission livre ainsi l’élaboration et l’évaluation de la politique antitabac européenne à des sociétés privées, aux intérêts financiers opaques. 

« Il sera demandé au contractant d’effectuer des tâches dans le cadre de contrats spécifiques telles que : 

  • Examen de la littérature et des études scientifiques existantes et/ou l’évaluation des résultats sanitaires et cliniques liés à un ou plusieurs sujets relatifs au tabac ou à la nicotine
  • Évaluation des résultats sanitaires et cliniques liés à un ou plusieurs sujets relatifs au tabac ou à la nicotine
  • Analyse statistique, commerciale et économétrique liée à la santé ou à un ou plusieurs sujets liés au tabac ou à la nicotine.
  • Modélisation de la politique de lutte contre le tabagisme
  • Études comportementales et analyse des résultats sur un sujet/une question spécifique
  • Soutien aux avertissements sanitaires combinés
  • Soutien à l’étiquetage et au conditionnement des produits du tabac et des produits connexes.
  • Limites d’émissions/ingrédients et marqueurs de contenu/émission pertinents
  • Contribution technique au développement de systèmes d’information
  • Contribution à l’évaluation juridique des mesures européennes, nationales et internationales de lutte contre le tabac », liste l’HaDEA en page 10 de son cahier des charges (notre traduction et notre emphase).

Au moment où Qatargate et opacité de contrats passés par la présidente de la Commission européenne avec Pfizer embrasent les travées bruxelloises, l’annonce de ce contrat sous-traitant la conception de la politique antitabac à des organismes étrangers et liés à des intérêts financiers montre l’absence de prise de conscience de la Commission de la nécessité d’assainir ses pratiques avec les lobbys. 

« Un autre problème est celui des conflits d’intérêts (COI) potentiels pour les groupes adjudicataires des appels d’offres. Bien sûr, ils sont obligés de déclarer qu’ils n’ont pas de COI quand il s’agit de l’industrie du tabac. Mais qu’en est-il des conflits potentiels de leur travail pour d’autres industries, telles que l’industrie pharmaceutique, dont nous ne sommes peut-être pas au courant ? », s’interroge l’ETHRA sur son site.

Le tabagisme est pourtant la principale cause évitable de maladies et de décès prématurés dans l’Union européenne. C’est également un immense enjeu financier.  

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