Le Pr Dautzenberg dans le Point: « la position du HCSP est purement morale et totalement contre-productive »

Pr Bertrand Dautzenberg pneumologue spécialiste de la lutte antitabac

La réactualisation de l’avis sur le vapotage du Haut Conseil de Santé Publie (HCSP), publié le 4 janvier, n’a pas fini de susciter des réactions. Dans Libération, le Dr William Lowenstein, président de SOS Addiction, a dénoncé « l’académisme et la frilosité, ce qui nous empêche de faire avancer des sujets majeurs de santé publique tels que l’alcool et le tabac ». La Fivape, fédération des professionnels de vape indépendants, a publié un communiqué déplorant le rendez-vous raté avec l’histoire. Tandis que l’association Sovape, consternée, a publié ses travaux de contribution à l’HCSP.

Du côté de la tabacologie, le Pr Bertrand Dautzenberg décrypte les incohérences du document dans une interview ce 11 janvier pour le site du Point. « Les recommandations du HCSP sont paradoxales. Les auteurs admettent que le vapotage peut aider certains fumeurs à cesser de fumer, mais à condition qu’ils passent à l’acte seuls ! Ils disent que les médecins n’ont pas à la conseiller », pointe le pneumologue.

Une aide à la sortie du tabagisme confirmée dans le monde réel

Pourtant, l’impact du vapotage en France est clair. Entre 2011 et 2017, avant les fortes hausses de prix des cigarettes, Santé Publique France (SPF) a évalué que près de 870 000 fumeurs dont 700 000 de manière consolidée ont arrêté de fumer grâce à la vape. « La plupart des gens maîtrisent bien la vape et savent comment s’en servir pour arrêter de fumer des cigarettes, d’autant qu’il existe une très bonne communauté d’entraide sur les réseaux sociaux et que les médecins sont de plus en plus formés », précise celui qui a dirigé le rapport d’experts sur la vape en 2013 pour le ministère de la Santé.

« Les gens qui fument et vapotent sont souvent mal informés. Il faut demander aux médecins de les aider à mieux prendre la nicotine non fumée pour quitter le tabac. Déconseiller aux médecins de s’occuper d’eux est un frein à la sortie du tabac », Pr Bertrand Dautzenberg au Point.

Faut-il abandonner ceux qui ont besoin d’aide ?

L’incohérence du HCSP est manifeste sur la question du double usage, vape et cigarette, qui concerne un peu moins de la moitié des utilisateurs actuels en France. « Il y a en effet trop de “vapo-fumeurs”. Il s’agit souvent de personnes qui ne savent pas bien vapoter et qui ne vapotent pas assez de nicotine pour être bien “compensées”. Le HCSP explique que les médecins ne doivent pas s’occuper de vape, en particulier pour ces “vapofumeurs”, ce qui me semble une erreur. Les médecins compétents peuvent, au contraire, les aider, notamment en réglant les concentrations de nicotine, en conseillant les sels de nicotine, voire en ajoutant un patch », explique le tabacologue actuellement à l’Institut Arthur-Vernes.

Même le HCSP n’a pas trouvé de risque significatif

Mais n’y a-t-il pas des risques à vapoter, s’inquiète Héloïse Rambert, la journaliste du Point. « Les membres du HCSP le disent eux-mêmes : aucun élément, pour l’instant, ne permet de dire que vapoter présente un risque significatif », rétorque le Pr Dautzenberg. « Des risques identifiés pour la santé, il n’y en a quasiment pas sans mésusage ! ». Mais là aussi, le HCSP recommande aux professionnels de santé d’abandonner les patients à eux-mêmes.

La position du HCSP insiste sur le manque de données d’essai clinique pour l’arrêt tabagique avec le vapotage. « Sur ce point, ils ont raison : la cigarette électronique ne peut pas prétendre au statut de médicament. Les études laissent la place à certaines incertitudes. Mais comment gérer l’incertitude scientifique dans la pratique courante ? C’est là toute la question. Le HCSP en conclut que les médecins ne devraient pas “se mêler” de vape et qu’ils ne devraient pas conseiller la cigarette électronique pour arrêter de fumer ».

Le HCSP a une position nuisible

« C’est une position purement morale et totalement contreproductive », poursuit l’expérimenté tabacologue. « Il existe en France une nébuleuse de lobby “antivape”, regroupant généralement des chercheurs qui lisent les revues scientifiques, mais qui écoutent probablement mal les patients fumeurs et vapoteurs. En tant que médecin praticien, je pense que l’écoute de nombreux patients permet de prendre de bonnes décisions là où la science n’apporte pas de réponses définitives ».

S’il reste une part d’inconnu, les connaissances sont tout de même déjà très avancées. »Le tabac tue 75 000 personnes chaque année en France et la vape est infiniment moins toxique que le tabac. Une étude de l’Institut Pasteur de Lille a encore récemment démontré l’énorme différence entre la fumée de tabac et la vapeur de la vape. Par ailleurs, il existe des éléments d’efficacité probants. Dans les faits, la cigarette électronique est déjà l’outil de sevrage tabagique le plus utilisé en France », rappelle le Pr Bertrand Dautzenberg.

Aider les fumeurs malgré le HCSP

Le Pr Dautzenberg semble ne pas envisager d’obéir aux recommandations du HCSP. « Dans ma pratique, ce sont plus de la moitié des fumeurs qui ont recours au vapotage avec d’autres traitements. Ce n’est pas parce que ce n’est pas un médicament que cela ne peut pas les aider. En tant que médecin, je ne me contente pas de prescrire des médicaments, je donne aussi des conseils en nutrition, en activité physique… et sur l’usage de la cigarette électronique. C’est un des moyens à notre disposition, au même titre que les patchs ou les formes orales (pastilles, gommes…), pour prendre en charge la dépendance physique à la nicotine », explique le médecin.

Mais n’est-ce pas remplacer une addiction par une autre?

La journaliste Héloïse Rambert reste inquiète : ne remplace-t-on pas une addiction par une autre? « Fumer une cigarette produit en cinq minutes des pics brefs très élevés de nicotine », explique le Pr Dautzenberg. « Le but de la substitution nicotinique est de “nourrir” sans pic ces récepteurs avec de la nicotine non fumée. Quand on prend des patchs ou des substituts oraux, la délivrance est régulière, les pics de nicotine qui renforcent la dépendance sont lissés. C’est la même chose avec la cigarette électronique : pour prendre 300 bouffées par jour, un fumeur va prendre 20 fois 15 bouffées en 5 minutes, alors que le vapoteur va prendre typiquement 3 bouffées 100 fois par jour. Là aussi, l’apport de nicotine est plus régulier ».

Captures des schémas présentés par la Dre Valentine Delaunay au CaféVisio du RESAD du 5 octobre 2021, vidéo accessible à https://www.facebook.com/RESAD.VAUCLUSE/videos/2155659451276738/

Une large majorité des fumeurs qui passent totalement au vapotage réduisent progressivement leur niveau de consommation de nicotine, poursuit le tabacologue. « Beaucoup de mes patients vapotent pendant trois, quatre mois, cinq mois éventuellement, pour ne pas retomber dans le tabac, puis arrêtent tout », témoigne le clinicien. « Un baromètre européen a comptabilisé 6 % de vapoteurs, mais aussi 6 % d’ex-vapoteurs en France. Donc cette idée de remplacement d’une addiction par une autre, de personnes qui vapotent “pour toujours”, ne correspond pas à la réalité. Dans les faits, beaucoup de fumeurs ont recours à la cigarette électronique, puis cessent ».

La vape est une substitution naturellement à bas seuil

« Il y a cependant des exceptions : 15 % restent dépendants à la nicotine. Ces mêmes 15 % qui, auparavant, après avoir arrêté de fumer, continuaient de prendre des gommes à mâcher à la nicotine pendant des années. À ces personnes, il faut laisser de la nicotine et la vape est un des moyens de maintenir cet apport. Et c’est aussi un outil facile à sortir, avec une gestuelle familière, notamment pour les jeunes en soirée, quand les autres fument autour d’eux, ce qui n’est pas le cas des pastilles ou des patchs ».

Plus de 95 % des tabacologues de la Société Francophone de Tabacologie (SFT) considéraient la vape comme un outil d’aide à l’arrêt tabagique en 2021. Après le retrait du Champix, la non homologation de la Cytisine malgré plus de 50 ans de recul, des millions de subvention captés par des organisations bureaucratiques stériles, les acteurs de terrain respecteront-ils un avis qui les enjoint à abandonner leurs patients fumeurs s’ils s’aident du vapotage ?

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