PMI Files(1): La transparence victime de la guerre froide entre l’OMS et Philip Morris

Dans l’hôtel Hyatt Regency de New Delhi, la cellule bouillonne. A une heure de route de la Convention anti-tabac de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des agents de Philip Morris (PMI) se préparent à y cueillir Nguyen Vinh Quoc, délégué du Vietnam. La scène est photographiée par un journaliste de Reuters. Le chauffeur de la camionnette blanche du cigarettier avouera avoir multiplié les allers-retours à l’hôtel de la délégation vietnamienne cette semaine du 7 au 12 novembre 2016. Quelques mois plus tard mis devant l’évidence, Andrew Cave, cadre de Philip Morris, reconnaît que ses collègues ont discuté «de questions politiques» avec les délégués de la nation d’Asie du Sud-Est. 
Cet épisode semble sortir d’un roman d’espionnage en pleine guerre froide. Mais ce n’est qu’une des histoires révélées par l’enquête de quatre journalistes de l’agence Reuters la semaine dernière. Ayant mis la main sur des «milliers de documents internes» datés de 2009 à 2016, l’agence de presse a commencé de publier une série d’articles sur les «Philip Morris Files». Elle n’a mis en partage public qu’une petite partie de ceux-ci. 
Noyautage à New Delhi
En novembre dernier dans la banlieue de New Delhi (Inde), des représentants de British American Tobacco (BAT) et Japan Tobacco (JTI) tentent vainement d’entrer à la 7ème Convention du traité anti-tabac en s’enregistrant pour y assister. Leurs concurrent vaudois optent pour des méthodes clandestines de noyautage. Ce choix de Philip Morris prend origine de la fermeture de plus en plus dure de la Convention de l’OMS aux cigarettiers. A la Convention précédente, à Moscou en 2014, un cap est passé avec l’expulsion et l’interdiction du public et des médias. 
Mais la firme lausannoise s’arrange pour ne pas être atteinte par ces restrictions. Au contraire, elle va les transformer en atout. Depuis 2010, Philip Morris a embauché Chris Koddermann, un juriste canadien, pour monter une cellule de renseignement et de lobbyisme. Les journalistes de Reuters évaluent ses effectifs à environ une quarantaine d’agents. En 2014, le responsable exécutif fixe la stratégie à l’aide d’un power-point de 125 pages leaké par Reuters. Retourner les nouvelles réglementations à son avantage, identifier et influencer les leaders clefs et les médias… les éléments de lobbyisme conventionnel sont énumérés.
Les accros aux taxes tabac
Plus précis sont les deux objectifs principaux assignés par Chris Koddermann à son équipe pour la Convention 2014 à Moscou. S’assurer que les règles de taxation restent dans le giron des Ministères des finances, alliés devenu naturels aux cigarettiers grâce aux hausses des taxes exigées par l’OMS. Et empêcher que le Traité ne sorte le tabac des marchandises régulées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Au dernier jour de la convention moscovite, le responsable de PMI se félicite dans un mail interne du «résultat formidable» obtenu par sa cellule. La déclaration de l’OMS ne réclame pas l’exclusion du tabac des accords commerciaux de l’OMC.
Le projet de prohibition totale du vapotage anticipé
Outre ce travail d’influence, l’équipe de Philip Morris récolte des renseignements. Dés 2014, au sortir de la Convention de Moscou, les cadres du cigarettier évaluent la forte probabilité d’un appel à une interdiction mondiale du vapotage par l’OMS à sa Convention de 2016. Philip Morris a t-il tenu compte de cette information de première qualité pour miser sur le tabac chauffé en place du vapotage ? Difficile à juger à partir du peu de documents mis en partage par Reuters.
Guerre win-win ?
Ce qui apparaît clair à la lecture des documents du cigarettier est qu’il a pleinement profité du blocus de l’information par l’OMS pour prendre l’avantage sur ses concurrents en noyautant les Conventions. Et a fortiori, au détriment de la société civile et des associations des droits des usagers de moyens de réduction des méfaits exclus des débats par l’OMS. Du côté de l’organisation onusienne, cette guerre froide a justifié l’extension des pouvoirs du Secrétariat Général. Vera da Costa continue d’ailleurs de jouer cette partition militaire en évoquant à Reuters, «la guerre» qu’elle doit mener face aux cigarettiers.
Business and politics as usual
Première conséquence de ces révélations de l’agence de presse, les traders ont vu confirmé la réputation positive du cigarettier lausannois à manipuler les législations à son avantage, cette « recette du succès » de Philip Morris. Dans Forbes, John Brinkley, observateur du Big Business relève que « en dépit des similarités avec le syndicat du crime organisé, ou peut-être pour cette raison, l’industrie du tabac va remarquablement bien financièrement. La côte de l’action de Philip Morris (à la bourse de New-York) a progressé de 49$ à 118$ ces dix dernières années »

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