Philip Morris avoue la pyrolyse de l’Iqos mais tente de faire retirer l’étude lausannoise

« Nous n’avons jamais affirmé que l’Iqos est dépourvu de processus pyrolytiques, bien connus pour augmenter avec l’augmentation de la température, et qui sont responsables de la plupart des composés nocifs ou potentiellement nocifs (HPHC) restant trouvés dans l’aérosol de l’Iqos. Cependant, aucune combustion ne se produit dans l’Iqos. » Signée de Serge Maeder et Manuel Peitsch, la réponse publiée le 30 mai sur le site de Philip Morris reconnait la pyrolyse mise en évidence par une équipe de recherche lausannoise publiée dans JAMA Internal Medicine le 22 mai dernier. « La fumée dégagée par l’Iqos contient des éléments provenant de pyrolyse et de dégradation thermochimique qui sont les mêmes composés nocifs que dans la fumée de cigarette de tabac conventionnelle », souligne l’étude menée par le Pr Reto Auer, de l’Université de Berne, que nous avions relatée brièvement

La chique coupée

Contacté jeudi, le Dr Reto Auer nous dit attendre que les éditeurs de la revue JAMA Internal Medicine lui demandent de répondre au contre-argumentaire des cigarettiers. « Nous respectons les processus normaux de révision et validation des publications scientifiques, avec le temps nécessaire à ce qu’ils se déroulent », s’est limité à nous déclarer le chercheur référent de l’étude.
Depuis, les événement s’emballent. Ce même jeudi 8 juin, Jean-Daniel Tissot, Doyen de la faculté de biologie et médecine de l’Université de Lausanne, reçoit un courrier de Philip Morris exigeant le retrait de l’étude. L’information, qui me rappelle quelque souvenir ressemblant avec le même cigarettier en 2015, est diffusée dans un communiqué des Jeunes Verts durant le week-end. Désormais, toute communication sur le sujet doit forcément passer le filtre de la hiérarchie de l’Université. Philip Morris semble avoir déjà réussi, au moins partiellement, à bâillonner les chercheurs.

Charbonnage de gueule ?
Pourtant ni ce que révèle l’étude lausannoise, ni la répartie du cigarettier ne sont excessivement surprenantes. A condition de ne pas se laisser abuser par des raccourcis du langage courant. L’Iqos ne produit pas de combustion prétendent les ingénieurs du cigarettier. Oui, mais… Toute cigarette est objet de pyrolyse et, au sens strict, n’est pas en état de combustion complète. « Quand le tabac pyrolyse, cela produit une myriade de composés semi-volatiles, volatiles et non-volatils, tels que les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) » et une longue liste de composés volatiles organiques (COV), explique Jeffrey Wigand, ex-Vice Président du département de recherche durant 15 ans à Brown & Williamson Tobacco Corp, dans un rapport en 2006.
En contraste, une combustion complète se produit à très haute température. Aux environs de 1500°C pour du tabac, alors que les cigarettes atteignent en leur point le plus chaud environ 900°C. Une combustion complète s’accompagne aussi de flamme et a pour particularité d’être auto-générée. « La preuve claire d’un processus exothermique » est un des deux paramètres nécessaires pour déterminer la combustion relevés par le mémoire de Philip Morris lui-même sur l’Iqos (p.27). Or, le papier des cigarettes dites industrielles contiennent des additifs entraîneurs de combustion pour éviter qu’elles ne s’éteignent (ce que font souvent les cigarettes roulées « soi-même »). 
Des sels de nitrate ou citrate de sodium et/ou de potassium semblent utilisés pour ce rôle depuis la seconde guerre mondiale selon un document interne révélé il y a une vingtaine d’années du cigarettier Brown & Williamson. Le secret de la composition précise des cigarettes restant toujours couvert par les autorités, on ne peut pas être certain que d’autres additifs ne soient pas aussi employés à cette fin.
Smoking and charing versus vaping
En d’autres termes, réduire les cigarettes classiques allumées à un processus de combustion complète serait abusif. Or ce sont les résidus de combustion incomplète et pyrolyse qui forment les composés les plus nocifs du tabagisme, point bien connu des spécialistes sérieux sur la question. Outre les COV et HAP, la génération de monoxyde de carbone (CO) en est un élément clef. Sa présence atteste de combustion incomplète ou de pyrolyse. Le processus de dégradation des composés en absence d’oxygène produit du CO en place du CO2 dégagé en combustion complète. L’étude lausannoise confirme la présence de CO dans la fumée produite par l’Iqos. De son côté, les cadres scientifiques de Philip Morris en contestent le taux mesuré mais pas sa présence. Difficile dans ces conditions d’accorder crédit aux médias présentant l’Iqos comme produit « smokeless » sans fumée.
Le cigarettier met également en doute certaines mesures des taux relatifs de toxiques dégagés par l’Iqos comparés à ceux d’une cigarette Lucky Strike Blue Light relevées par les chercheurs universitaires. Sur les antennes de la radio RTS la 1ère le 31 mai, Aurélie Berthet, co-auteure de la recherche, reconnait que le protocole est propre à cette étude pilote. « On a utilisé une machine faite en laboratoire », explique la toxicologue de l’Institut romand de santé au travail (IST).

On peut comprendre des différences de mesures en absolu, le volume des bouffées variant probablement entre cette machine à fumer et celles utilisées par Philip Morris. Mais les taux relatifs comparés des fumées de l’Iqos et de la Lucky Strike mesurées avec une même machine ne devraient pas être faussés. Sur ce point, les raisons des divergences entre les deux parties restent obscures. Elles pourraient provenir des cigarettes utilisées, Lucky Strike Blue Light du côté des chercheurs lausannois contre la cigarette standardisée 3R4F par les tests des cigarettiers. Les suites, si elles peuvent emprunter un cours scientifique, apporteront peut-être des éclaircissements. 

Ce que l’on sait

Ce qui est clair, c’est qu’avec la même machine de test, la toxicologue n’avait pas détecté de HAP et seulement des taux non significatifs de COV, à part de propylène glycol, dans le vapotage – avec et sans nicotine ainsi qu’avec un concentré de cannabis – lors d’une précédente étude sur le « cannavaping » publiée dans Nature en mai 2016. « C’est très simple un e-liquide. Il y a de la glycérine végétale, du propylène glycol, éventuellement de la nicotine et quelques arômes. Aussi la température de chauffe de la résistance est beaucoup plus basse [que la température de l’Iqos] », précise la scientifique lors de son récent interview radio. Et le vapotage ne génère évidemment pas de pyrolyse de composés solides, sauf cas de mésusage, puisqu’on est dans un processus de vaporisation d’un liquide.

Qui a intérêt à entretenir la confusion entre vapotage et cigarette ?
L’industrie de la confusion
Une autre certitude est apparue au cours de cette petite histoire de tabagisme helvétique. Celle-ci est d’ordre plus politique que physique. C’est l’absence totale de soutien financier à l’étude des chercheurs universitaires lausannois qui ont du travailler bénévolement sur leur temps libre pour la mener. Vérifié auprès de plusieurs sources, nous pouvons certifier le refus catégorique d’accorder quelconque aide de la part du Fond de prévention du tabagisme (FPT), pourtant mandaté à promouvoir la recherche sur les deniers récoltés (de l’ordre de 14 millions Fs par an) grâce aux ventes de tabac.

En septembre dernier, la prise de position de la Commission fédérale de prévention du tabagisme (CFPT) ahurissante d’incompétence et de feignantise à l’encontre du vapotage avait déjà fait siennes les revendications du cigarettier lausannois pour une taxe anti-vapoteurs et pour imposer une censure totale au monde médical sur le sujet de la réduction des méfaits par la vape comparée au tabagisme. Philip Morris a fait de la Suisse un de ses vaisseaux amiraux, avec le Japon où la vape nicotinée est également interdite de vente par les autorités, dans sa stratégie de contre-vapotage. Flagship (vaisseau amiral), c’est d’ailleurs le nom que souhaite donné la multinationale à son futur Iqos center au Flon à Lausanne.

Cette reconquista est nécessaire à Philip Morris face à la chute de ses ventes, notamment au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, depuis 2011 sous l’impact du vapotage. Alors que le cauchemar de l’instant Kodak hante Philip Morris, le label marketing smokeless (sans fumée) de l’Iqos est une arme commerciale et un moyen d’être adoubé par la Food and Drug Administration (FDA) américaine. Tandis que sa réglementation va exclure la quasi totalité des produits de vape indépendants aux Etats-Unis (si la réglementation reste en l’état). L’enjeu dépasse donc le seul tabagisme suisse.

Doute fédéral

Ce refus de la part de la CFPT de délivrer les moyens financiers à une étude indépendante sur l’Iqos est un nouvel épisode de l’attitude pour le moins étrange des autorités sanitaires helvétiques. Elle jette une fois encore le trouble sur les véritables motivations des organismes fédéraux. Des agissements sur lesquels les Jeunes Verts, vue leur proximité avec certains personnages clefs, auraient peut-être pu nous éclairer dans leur communiqué? Doit-on encore s’étonner de la duplicité d’autorités ayant interdit la vente des liquides de vapotage nicotinés tout en laissant en vente libre, même aux gosses dans certains cantons, des cigarettes de toutes sortes? De quoi semer le doute et entretenir la confusion dans le public au lieu de l’informer clairement sur le moyen au risque drastiquement réduit du vapotage pour sortir et éviter le tabagisme.

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