Annonce du projet de LPTab : un banal cas de mal-traitance médiatique

[ En raison de l’actualité, j’ai retardé la parution de ce billet. Il me paraissait saugrenu d’attirer l’attention sur un sujet tout autre, en regard de l’émotion générale. Au risque d’être à contre-temps sur le sujet, je me décide à le publier à présent, avec quelques modifications pour coller aux dernières parutions. Une pensée aux victimes et leurs proches de Paris ou d’ailleurs. ]
Oeuvre de LeioVape

Brouillard dans les échéances, réduction des intervenants au carnet d’adresse éculé du journaliste, élimination de l’avis des concernés et occultation des voix non-alignées : les ordinaires ingrédients d’une banale maltraitance médiatique de l’information et du public ont été réunis lors de la couverture de l’annonce du projet de loi sur les produits du tabac (LPTab).
Mercredi 11 novembre, le conseiller fédéral Alain Berset en compagnie de Pascal Strupler, directeur de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), présentaient le projet de LPTab qui sera soumis au parlement en début d’année prochaine. Ce projet de loi a été très peu modifié suite à la procédure de consultation, malgré les nombreuses critiques émises à son encontre. Les débats parlementaires s’annoncent compliqués, alors que l’agenda prévoit son adoption fin 2016. Pour laisser place ensuite à l’élaboration des ordonnances d’application et une entrée en vigueur au plus tôt en 2018, plus probablement en 2019 au vu du retard. En cas de référendum, cela repousserait encore la mise en marche à 2020.
La plupart des médias ont couvert cette annonce en reprenant un article de l’ATS, titré « L’e-cigarette avec nicotine sera autorisée ». Sans mention de l’agenda, bon nombre de personnes, en tout cas sur les réseaux sociaux, ont évidemment été amené à mésinterpréter la nouvelle. Cette autorisation de la vape avec nicotine, si la LPTab est adoptée sans modif concernant ce point, ne serait pas avant trois à cinq ans. Cette carotte, s’accompagne de l’assimilation du vapotage aux produits du tabac. Stipulé dans le projet de loi à l’article 3, §2 : « Sont assimilés aux produits du tabac: (…) b. les produits à inhaler sans tabac libérant de la nicotine et utilisés comme des produits du tabac, notamment les cigarettes électroniques avec nicotine, ainsi que les cartouches et flacons de recharge pour ces produits » ; et §3 « Pour autant que la protection de la santé l’exige, le Conseil fédéral peut en outre soumettre à certaines dispositions de la présente loi les produits à inhaler sans tabac ne libérant pas de nicotine et utilisés comme des produits du tabac, notamment les cigarettes électroniques sans nicotine ».
Le monde en deux dimensions mais un seul discours
Bien que les médias ont tous thématisé le statut de la vape dans l’annonce du projet de loi, aucun, à une exception près, n’a pris la peine de s’enquérir de l’avis des concernés sur cette question. Suivant ainsi le canevas formaté des autorités qui présente le débat comme une « pesée d’intérêt » entre les lobbys du tabac et ceux de la «santé», que l’on peine à distinguer de ceux de la pharma. Les positions de l’association d’usagers Helvetic Vape ou de l’Institut de Santé Globale de l’Université de Genève, pour nommer des exemples romands, sont tout simplement passées sous silence.
Équilibre du traitement de l’information à deux dimensions seulement, où on peut lire les réactions des habituels abonnés médiatiques des deux camps, par exemple dans les colonnes du lausannois 24 heures, ou dans un article de Laura Drompt dans la Liberté et le Courrier. Le journal fribourgeois avait déjà produit une ventriloque page sur la vape (accès seul abonné) sans consulter aucun vapoteur, publiant par la suite deux réponses, d’un lecteur et d’Helvetic Vape (aux dimensions congrues).
La question de la vape dans la LPTab n’est évidemment pas abordée par les deux « frères-ennemis » officiels des médias. Sur ce point, ils n’ont qu’un seul et même discours. La vape doit être assimilée aux produits du tabac, et
lui imposer des restrictions techniques via les ordonnances d’application. A la manière de la directive européenne sur les produits du tabac (TPD) prise en exemple à suivre par l’OFSP. En somme, la livrer à l’industrie cigarettière. Scénario cousu de fil blanc, à terme les uns vendront un peu de cigalikes réduites à l’état de gadgets et beaucoup de tabac, les autres les médocs pour soigner les fumeurs. Un enfumage récemment ausculté par un documentaire de Temps Présent (RTS).
L’exception suisse : Saint-Gall connaît le principe d’égalité
Voix médiatique dissonante dans ce concert à l’unisson en provenance de Saint-Gall, où le Tagblatt a donné la parole au président de la Swiss Vape Trade Association (SVTA), l’association des professionnels de la vape suisse. «Les e-cigarettes peuvent contenir de la nicotine, mais elles ne contiennent pas de tabac. Par conséquent, elles ne sont pas des produits du tabac. Les e-cigarettes sont moins nocives que les cigarettes ordinaires, ce qui appelle un règlement différencié. Aussi cela va réduire les coûts de soins de santé à long terme», explique Stefan Meile, par ailleurs aussi patron d’Insmoke, seul distributeur de liquides à vaper ayant pris l’initiative de vendre des liquides avec nicotine en Suisse malgré l’actuelle prohibition.
La violation manifeste du principe constitutionnel d’égalité – stipulant que deux choses inégales dans leur effets ne peuvent être traitées de la même manière – dénoncée ici en filigrane par Stefan Meile ne semble pas avoir ému les autres médias. L’amalgame de la vape au tabac aurait pourtant des conséquences problématiques. Par exemple, l’arsenal de limitation de la publicité (art. 14) interdit de suggérer « un quelconque effet bénéfique des produits du tabac sur la santé ou associe les produits du tabac à un sentiment positif ». Celainterdit d’informer sur la réduction des risques de la vape par rapport au tabac. Qu’en sera t-il des forums d’entraide au sevrage tabagique à l’aide de la vape ou des pages comme ce blog ? A quelles poursuites s’exposeront les professionnels de santé conseillant à leur patients d’essayer d’arrêter de fumer à l’aide du vapotage ?
« Vaper est mieux que fumer » selon le Pr Stadler
De manière pratique et symbolique, l’amalgame de la vape au tabac brouille la compréhension claire dans le public, et avant tout chez les fumeurs, des différences de risques entre les produits. C’est contre cet enfumage de la population que le Pr Beda Stadler s’élève dans le SonntagsZeitung ce dimanche. Dans une tribune, il fustige les restrictions anxiogènes que l’OFSP veut imposer. «Nos apôtres de la santé avertissent avec ferveur du danger d’un contact cutané des liquides nicotinés, mais recommandent les patchs et les gommes à la nicotine comme thérapie de remplacement», pique le médecin bernois.
Avant de battre en brèche les arguments anti-vape : les données sanitaires ne manquent pas, le rapport du Public Health England met un terme à cette discussion aux yeux du Pr Stadler.  Même si les autorités font la sourde oreille, des milliers de fumeurs suisses sont déjà sortis du tabagisme à l’aide de la vapote, appuie t-il, alors que rien ne montre un effet passerelle au tabagisme chez les jeunes. Enfin, c’est l’hypocrisie d’un Etat qui se gave des taxes du tabac et entrave le recours à la vape que le médecin bernois dénonce.
Sacrifice en silence de la réduction des risques
Par l’assimilation de la vapote au tabac dans la LPTab, les autorités suisses privent la population d’une politique de réduction des risques liée à la consommation de nicotine. C’est un choix politique clair, mais absurde du point de vue sanitaire. Visiblement, aucun média romand ne semble s’être soucié de ces aspects dans son «traitement» de l’information. Réduire la question au traditionnel face-à-face entre méchants cigarettiers et gentils pharma étant finalement plus facile à mettre en scène, au risque d’intoxiquer le public. Sans réduction des risques à soutenir un tel enfumage.

addendum : Helvetic Vape vient de publier un communiqué à ce sujet http://helveticvape.ch/pas-de-legalisation-des-liquides-nicotines-en-vue/ 

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