Vape en stats

 
Entre 2013 et 2014, la vape a grosso modo doublé en Suisse. Alors que le tabagisme se maintient à un quart de la population. D’après le monitorage Suisse des addictions, une enquête téléphonique recueillant des données auprès de 11’000 personnes de plus de 15 ans présentée en deux volets (un général et un spécifique à la vape), publiés ce 12 octobre.
 
En 2014 en Suisse, les vapoteurs au quotidien seraient 0,3% de la population, contre 0,1% en 2013. Les usagers hebdomadaire de la vape seraient 0,7%, contre 0,4% précédemment. Et l’ensemble des gens ayant expérimenté la vape atteindrait 14% de la population contre 6,7% un an auparavant. En chiffres bruts, sur les 7 millions d’habitants de plus de 15 ans, un million aurait essayé la vape, 20’000 vapoteurs le seraient au quotidien, et 50’000 vaperaient régulièrement au moins une fois par semaine. En dépit de l’interdiction de vente des liquides nicotinés, la vape se développe donc… Mais en partant d’un niveau si bas qu’elle reste marginale.
 
La cause en est connue: la politique de prohibition des liquides nicotinés par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), mandataire de cette enquête. Ainsi, on relève seulement 39,9% d’usagers utilisant des liquides avec nicotine chez les possesseurs d’ecig. Alors que les vapoteurs sont 86% à utiliser des liquides nicotinés en France selon l’INPES. Chez les 15-24 ans en Suisse, les vapoteurs utilisant uniquement des liquides sans nicotine dépasseraient les 70% – chiffre non pondéré et sur une base faible de personnes.
 
Aucun moins de 19 ans sondé ne déclare vaper au quotidien. Et seulement 0,2% utilisent leur ecig hebdomadairement. Chez les 19-24 ans, ils sont 0,2% de vapoteurs quotidien et autant à vaper chaque semaine. Les jeunes (entre 15 et 24 ans) sont nombreux à expérimenter la vape «mais peu l’utilisent régulièrement», souligne le rapport.
 
L’enquête a débusqué 14 personnes n’ayant jamais fumé et qui vapent occasionnellement (aucun usage régulier). Parmi ceux-ci, seule une personne a expérimenté la vape avec nicotine. Aucun des  »jamais fumeurs », ayant essayé, ne vape régulièrement. Le mythe de la grande épidémie tabagique causée par la vape a autant de plomb dans l’aile qu’une vieille Gauloise sans filtre.

La répression anti-vape maintient le tabagisme

 
Ce qui n’est pas dit explicitement dans cette enquête: avec les liquides nicotinés, un essai sur trois amène un fumeur à utiliser régulièrement la vape (comme en Angleterre par exemple). En Suisse, liquide nicotiné prohibé aidant, c’est seulement un essai sur vingt.
 
Le ratio entre expérimentation (14 % de la population) et vapoteurs réguliers (0,7% au moins une fois par semaine) se situe à environ 1 pour 20 (voire 1 pour 50 pour l’usage quotidien). Pour comparaison, les données de l’Action on Smoking and Health (ASH), principale organisation anti-tabac anglaise, relate un ratio de plus d’un sur trois (5,4% de la population anglaise utilise une e-cig pour 17 % l’ayant essayé). Parmi ces fumeurs anglais adoptant la vape régulièrement, 40% se sèvrent totalement du tabac, les autres réduisant fortement leur consommation. Le gap énorme entre essai et adoption de la vape en Suisse situe le déficit de conversion de fumeurs en vapoteurs et la relative faible portée de son impact contre le tabagisme.
 
L’interdiction de la vente de liquide nicotiné concoure ainsi à six fois plus d’échecs des tentatives de passer à la vape des fumeurs en Suisse par rapport aux britanniques. Est-ce un facteur d’explication du maintien depuis 2008 du tabagisme à un quart de la population? Tandis qu’il s’écroule en Grande-Bretagne(ainsi qu’en France, jusqu’aux campagnes anti-vape de la ministre Marisol Touraine qui y a relancé le tabagisme depuis 2014).
 
Tiré du rapport sur la ecig en 2014
La prohibition des liquides nicotinés impacte aussi évidemment la réussite même du sevrage tabagique des vapoteurs encore fumeurs. Alors que les motivations des possesseurs d’ecig présentées par le monitorage sont essentiellement pour arrêter, réduire ou ne pas recommencer de fumer. Aucun traitement des données n’est présenté sur la part de sevrage réussi à l’aide de la vape. On apprend tout de même que 1,1% des ex-fumeurs vapent, dont la moitié régulièrement. Chez les fumeurs occasionnels, ils sont 5,5% à vaper, occasionnellement pour l’extrême majorité d’entre eux. Cela les a t-il aidé pour réduire leur consommation de cigarette? Impossible à déceler avec les données présentées.
 

Au clair de lacunes

 
Les nombreuses lacunes de l’enquête sont pointées par l’association des usagers HelveticVape :

 «Aucune question n’a été posée pour mesurer l’efficacité du vapotage dans le sevrage tabagique. Aucune question n’a été posée pour tester si la théorie de l’effet passerelle, chère aux détracteurs du vapotage, est une réalité ou non. Aucune question n’a été posée sur la perception des risques liés aux différents modes de consommation de nicotine. Aucune question n’a été posée sur la réglementation actuelle et future des outils de vapotage et des liquides à vaper. Aucune question n’a été posée sur la complication d’acheter les liquides à vaper contenant de la nicotine à l’étranger pour les vapoteurs. Aucune question n’a été posée sur la perception du vapotage par les fumeurs et par les non-fumeurs. Etc…»

 
On aura compris que l’on essaie de ne pas trop comprendre. L’OFSP évite t-elle soigneusement de livrer les clefs d’intelligence de sa part de responsabilités? Les usagers de la vape se posent la question. Et il semble en effet que les entraves à un accès simple aux liquides nicotinés inhibent les arrêts tabagiques à l’aide de la vape.

Hausse de la vape et baisse du tabagisme en Romandie

 
Cependant, en mettant en lien les rapports 2013 et 2014 sur la vape et celui sur le tabagisme 2014, on peut noter une tendance au remplacement du tabac par la vape en Suisse romande. La vape est nettement plus répandue en Romandie que du côté alémanique, la Suisse italienne se situant systématiquement entre deux. La vape a été essayé par 20,7% des romands contre 11,9% des suisse-allemands. Et 3,9% des romands ont vapé le mois précédent l’enquête contre 1,3% des alémaniques (sans précision sur la fréquence d’usage, mais les différences régionales ne sont présentées que sous cette question). Parallèlement à cela, entre 2011 et 2014 la prévalence tabagique a reculé en Romandie de 27% à 25,9%, alors qu’elle a augmenté en suisse-alémanique passant de 23,6% à 24,5%.
 
 
Graphiques faits par moi-même à partir des données des rapports 2013 et 2014

Le tabagisme reste un peu plus élevé chez les francophones, mais les tendances sont opposées. A la baisse en Romandie, à la hausse du coté alémanique. Alors que le développement de la vape est plus rapide en Romandie qu’en Suisse allemande. Corrélation ou rapport de causalité entre un usage plus répandu de la vape et la sortie du tabagisme romands? Ou dans une dynamique inverse entre l’inhibition de la vape et la hausse du tabagisme dans la partie alémanique?

Vapigraben

 
Pour esquisser une hypothèse, on peut se demander si un des angles morts de cette étude, à savoir la question de la perception des différents risques par les usagers, n’est pas en cause dans ce «Vapigraben» (ou Dampfigraben). Il existe dans l’aire francophone un pôle indépendant de défenseurs d’une approche de la lutte contre le tabagisme par la réduction des risques. Par contre, la sphère alémanique semble se nourrir des études américaines, aux méthodologie biaisées. Par exemple, en ne distinguant pas l’expérimentation des usages réguliers. Contrairement d’ailleurs à la méthodologie de cette enquête Suisse. (Ce qui laisse songeur sur leur diffusion et utilisation par les mêmes organismes helvétiques qui ont procédé à cette étude).
 
la ecig en 2014
Après la vape, l’OFSP va enquêter sur les réseaux sociaux
Ce point sur la perception publique de la vape et des risques relatifs aux différents produits est d’importance pour estimer ce décalage entre régions. Selon cette enquête, du coté alémanique 3,3% de la population ne connaît pas même l’existence de la vape, contre 0,1% en Romandie. Malheureusement aucune question qualitative des connaissances sur le dispositif n’a été soumise aux sondés.
 
Les esprits taquins suggéreront que les enquêteurs ne sont peut-être pas mieux renseignés que la plupart des enquêtés sur la vape. Il est vrai qu’un questionnaire parlant «d’e-cigarette jetable» n’est pas pour rassuré sur l’état de leurs connaissances dans le domaine.

Les classes en fumée

 
Le pan sociologique de l’enquête a ceci d’original qu’elle évacue les classes sociales. Se retrouve donc mêlé sans distinction de niveau de revenu l’ensemble des personne travaillant à plein temps d’un côté, à temps partiel de l’autre. Pour rendre encore un peu plus opaque cette partie de l’enquête, les différents usages ne sont pas discriminés de manière pertinente (contrairement à d’autres endroits). Tout au plus, peut-on remarquer que les chômeurs (qui sont aussi beaucoup plus nombreux à fumer) et les personnes en formation semblent plus nombreux proportionnellement à utiliser la vape que les personnes travaillant. Les autres caractéristiques sociologiques examinées, le niveau de formation et le lieu d’habitat (urbain ou campagnard), ne présentent aucune information significative. Le profil sociologique des usagers de la vape reste dans le brouillard.
 
Cette absence de problématisation sociale n’est cependant pas propre aux vapoteurs. Les fumeurs flottent aussi dans une sorte d’éther platonicien. Un effacement qui permet notamment de ne pas s’interroger sur le rapport entre prix des cigarettes, revenus et l’explosion de la consommation de tabac à rouler qui proportionnellement à doubler depuis 2011 chez les fumeurs.

Quand est-ce que l’OFSP autorisera les fumeurs à utiliser la vape nicotinée?

 
Note positive de cette enquête, les auteurs ont estimé que la vape ne pouvait pas être traitée dans le même document que les produits du tabac. «Il est finalement important de signaler que l’usage de cigarettes électroniques n’était pas considéré dans le cadre des produits du tabac sans fumée et fait l’objet de questions et d’analyses spécifiques», précise les auteurs en p.61
 
Doit-on y voir un signe d’inflexion dans la considération de la vape? Un pas vers un traitement non plus en menace mais comme moyen de réduction des risques? Alors que 37,1% des fumeurs quotidiens y déclarent avoir l’intention d’arrêter de fumer dans les 6 mois. Aux yeux d’Helvetic Vape, il serait temps : 

«Les chiffres publiés montrent encore une fois le retard monumental de notre pays en matière de réduction des risques liés à la consommation de nicotine par rapport aux pays voisins. La prohibition inique des liquides à vaper contenant de la nicotine, voulue par l’administration fédérale et qui dure depuis 10 ans, a toujours un effet désastreux».

2 commentaires sur “Vape en stats

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