Pourquoi faut-il libérer la vape nicotinée en Suisse ?

Depuis 10 ans, la vente de liquides à vaper nicotinés est interdite en Suisse. Plus précisément, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) interprète la loi de manière à l’interdire via sa lettre n°146. Cette interprétation est contestable. Et contestée par l’avis de droit de Maitre Jacques Roulet du cabinet BRS Genève. Sans que l’OFSP n’ait jugé opportun de répondre aux arguments de cet avis, laissant la situation en l’état. 

Vape Mob’ à Berne le 30 mai 2015
Un vapoteur en Suisse doit donc se fournir soit à l’étranger, avec limites d’import, tracas et frais souvent disproportionnés, soit au marché noir avec le flou inhérent sur la qualité des produits. Arrêter de fumer à l’aide de la vape en Suisse, se rapproche d’une activité illégale où il faut oser baigner dans les réseaux  »undergrounds » pour s’en tirer.

Helvetic Vape (HV), l’association de défense des usagers de la vape en Suisse, aussi a multiplié les demandes aux parlementaires, une interpellation au Conseiller fédéral de l’intérieur Alain Berset, et même fait une sympathique vente de liquides avec nicotine à Berne le 30 mai 2015. Rien, aucune réaction, pas la moindre initiative.

« Pourtant, aujourd’hui, une simple adaptation de l’alinéa 3 de l’article 60 de la nouvelle version de l’Ordonnance fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels (ODAlou) permettrai de légaliser rapidement les liquides à vaper contenant de la nicotine. Cette ordonnance étant en cours d’élaboration par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), sa modification est très aisée. Dire « on ne peut rien faire maintenant »est par conséquent un mensonge », explique Olivier Théraulaz, président de HV dans un récent texte intitulé « Le confortable mensonge ».

L’évaporation du tabagisme

Le récent rapport du Public Health England, haute autorité sanitaire britannique, ne laisse plus place au doute sur l’extrême réduction des risques de la vape par rapport au tabagisme. Sans tabac ni combustion, et donc sans émanation de monoxyde de carbone ni de goudron les principaux pathogènes de la cigarette, la vape permet à beaucoup de s’affranchir du tabac fumé et de ses effets délétères. En moins de dix ans, le Royaume-uni a réduit de 11 points sa prévalence tabagique, passant sous les 20% de fumeurs dans sa population, selon l’Eurobaromètre 429. Il y reste environ 10 millions de fumeurs. Alors que 1,1 millions se sont totalement sevré grâce à la vape, et 1,5 millions ont réduit fortement leur consommation de cigarettes avec l’aide de celle-ci, selon l’Action on Smoking and Health, principale orga anti-tabac britannique. Le phénomène est si fort que les centres anti-tabac sont de plus en plus nombreux a ouvertement recommander la  »e-cig » pour arrêter de fumer.

« La nicotine n’est responsable d’aucune des maladies du tabac. Elle ne provoque aucun infarctus, aucun accident vasculaire cérébral, aucun cancer, aucune maladie respiratoire, etc. Elle est néanmoins responsable de la dépendance au tabac et donc du tabagisme qui pousse le fumeur à s’exposer aux dangers de la combustion du tabac. Mais si elle est prise seule, sans la combustion, pour ne pas subir son manque comme avec les substituts nicotiniques, elle ne provoque pas de maladie et ne présente pas de danger pour la santé », précise Philippe Presles, Docteur en tabacologie dans son livre La Cigarette électronique (2013).
Mobilisation à Paris

En Suisse aussi, nous savons que nombre de médecins et de tabacologues orientent, informellement, leurs patients fumeurs vers la vape pour se sevrer. En l’absence d’accès simple aux liquides avec nicotine, ils conseillent d’y associer des substituts nicotiniques comme les patchs ou les gommes. Bricolage qui peut marcher, mais qui serait d’autant plus efficace si les fumeurs en sevrage tabagique pouvaient avoir des liquides nicotinés. 

Car une des lacunes des patchs et gommes est leur incapacité à reproduire ce que les addictologues du tabac appellent l’effet Bolus, la montée de nicotémie en quelques secondes après les premières bouffées de cigarette. La cinétique (vitesse d’absorption) de la nicotine est accélérée dans les cigarettes par l’adjonction d’ammoniac qui la rend free-base (comme dans le crack). C’est la raison de l’addictivité des cigarettes similaire aux drogues dites dures, comme l’héroïne. La nicotine non alcalinisée (par l’ammoniac) et non fumée génère une addiction extrêmement plus faible. Avec une nocivité de l’ordre de celle de la caféine selon la Royal Society for Public Health. D’ailleurs, l’addiction générée par la vape est similaire à celle des gommes nicotinées d’après une étude longitudinale des Pr J-F. Etter et T. Essenberg.

Le hit parade de la vape

La vape, en l’absence de combustion et d’ammoniac, n’a pas cette fulgurance du tabac fumé (plusieurs minutes pour avoir la même montée de nicotémie). Mais, contrairement aux patchs et gommes, elle reproduit le « hit », cette petite contraction du larynx au passage de la nicotine inhalée. Or, ce hit agit comme signal précurseur de l’arrivée de nicotine au système neuronal. Celui-ci relâche dés ce moment les neurotransmetteurs dopaminergiques. Autrement dit, le vapoteur ressent l’effet  »plaisir » et de relaxation par comblement du manque. Cela a étonné les tabacologues qui expliquent avoir appris quelque chose de fondamental sur l’addiction tabagique à cette occasion. Un vapoteur voit son manque déjà (au moins en partie) calmé par le vapotage avant même que la nicotine ait atteint le cerveau. Mais pour cela, il faut qu’il y ait de la nicotine dans la vapeur inhalée.
L’autotitration est le second phénomène pharmacologique de base connu en addictologie comme spécifique au tabagisme.  

« Les fumeurs modifient leur façon de fumer et d’inhaler (rythme, nombre et volume des bouffées, longueur du mégot) pour atteindre un taux optimal de nicotinémie : c’est l’ auto-titration », explique le Pr. C Gillet, dans l’Abrégé d’addictologie (article : Clinique de la dépendance tabagique). 

Ce phénomène est une manière de réguler, plus ou moins inconsciemment, le niveau de nicotine dans son organisme par le fumeur. Cette capacité explique pourquoi il n’y a jamais d’overdose de nicotine par inhalation, que ce soit en fumant, vapant ou avec un inhalateur de nicotine de pharmacie. Contrairement à une légende urbaine que tentent de répandre certains organismes soi-disant de prévention. Fausse rumeur ridicule, qui à mon sens, va surtout les décrédibiliser aux yeux des jeunes qui comprendront vite la tartufferie.

« C’est comme la faim en quelque sorte. À l’issue du repas, nous sommes repus et ne voulons plus manger. Il s’agit d’un processus similaire avec la nicotine, même si certains ont tellement de récepteurs qu’ils fument cigarette sur cigarette. En pratique, nous pouvons donc retenir, pour les fumeurs, que le risque de surdosage grave à la nicotine est quasi inexistant et que si nous vapotons, mettons un patch, ou que nous suçons des pastilles, notre cerveau nous fera automatiquement moins vapoter ou fumer ou sucer d’autres pastilles grâce au phénomène d’autotitration. Il faut donc faire confiance à notre cerveau! », explique le Dct P. Presles, dans son livre.


Mais alors, pourquoi le maintien de la prohibition par l’OFSP ?

« Smoke free » ordonne l’OFSP !
Les preuves sanitaires sont manifestes: en l’état des connaissances scientifiques, il n’y aucun doute qu’un fumeur a tout intérêt pour sa santé de passer à la vape. Tous les suivis montrent que, non seulement la vape ne crée par un effet de passerelle vers le tabagisme, mais au contraire concourt à sa chute. Sauf en Suisse, où le tabagisme se maintient à 25 % de la population depuis 2008, soit 2 millions de fumeurs. Mais où justement la vape nicotinée y est prohibée. Autoriser la vape avec nicotine en Suisse, au lieu de l’interdire depuis 2005, aurait probablement permis à 200’000 fumeurs de se sevrer et à 300’000 de réduire massivement leur consommation de cigarettes (en moyenne les  »dual-users » passent de 20 à 4 cigarettes par jour). Alors pourquoi les autorités helvétiques maintiennent leur répression ?

C’est en filigrane la question que pose le texte d’Olivier Théraulaz précédemment cité. Peur de la nicotine ? Nous l’avons vu, les fondements en addictologie sont là pour écarter cette possibilité. Calcul politicien des dirigeants l’OFSP rompus à ce genre d’intrigue de couloirs ? Cela me parait plus probable, sous plusieurs aspects sur lesquels je reviendrais à l’occasion. Mais le texte du porte-parole d’Helvetic Vape l’évoque:
« Tant que les liquides à vaper contenant de la nicotine sont interdits de vente, les cigarettiers n’ont pas à craindre que le vapotage concurrence les cigarettes classiques en Suisse. Ils ont, de plus, le champ libre pour commercialiser librement leurs nouveaux produits à risque réduit comme les systèmes de tabac chauffé. L’industrie pharmaceutique gagne énormément d’argent en commercialisant des substituts nicotiniques inefficaces et surtout en fournissant des médicaments aux nombreux malades chroniques du tabagisme. Cette industrie n’est pas pressée de voir commercialisé légalement un outil qui concurrence ses propr
es produits et qui fera diminuer les maladies liées au tabagisme. Les décisions prisent jusqu’ici en Suisse conviennent manifestement très bien à l’industrie du tabac et à l’industrie pharmaceutique au détriment de la santé publique. Si ces influences sont la raison obscure qui pilote à distance l’exécutif fédéral, c’est une honte pour notre pays. »

La trahison des élites

A quelques mois des débats parlementaires sur la nouvelle Loi sur les produits du tabac (LPTab), première du genre en Suisse, arranger les cigarettiers en leur livrant le marché des  »produits à risques réduits » sans la concurrence de la vape indépendante est un calcul assez transparent. Un «gentlemen agreement» très helvète pour éviter une contestation frontale de leur part à cette loi. Dont la mise en place, au mieux en 2019, ornera le curriculum vitae de quelques dirigeants de l’OFSP. 

Double-effet politicard à cette prohibition, les organisations anti-tabac pro-abstinence voient d’un bon œil toute répression anti-fumeur. Sans saisir que le mouvement est inéluctable. Les raisons profondes de leur incompréhension de cette nouvelle donne méritent plus amples réflexions.
A suivre…

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